Chapitre Quatorze.
Le tonnerre grondait au loin, menaçant, amplifié par les rues désertes.
-L'orage ne va pas tarder à éclater. Où allons-nous?
Louis avait posé cette question une bonne dizaine de fois au cours de la demi-heure précédente sans jamais recevoir la moindre réponse. Bien que visiblement très excité par son projet, Harry refusait de lui en révéler la nature.
Il lui jetait de brefs coups d'oeil avec un petit sourire mystérieux qui lui donnait l'air charmant d'un enfant, auquel Louis ne pouvait s'empêcher de répondre par un gloussement puéril.
Le surlendemain de son rendez-vous avec Zayn -et alors qu'ils n'avaient fait que se croiser en coup de vent à l'appartement-, Harry lui avait annoncé qu'il l'emmenait dîner et "voir quelque chose" . Louis avait pensé à un spectacle, étant donné le quartier où il l'avait entraîné, mais il était déjà plus de 23 heures quand ils avaient quitté le restaurant, et il ne voyait vraiment pas ce qu'il avait en tête.
-Un orage d'été n'a jamais fait de mal à personne. On est presque arrivés. Viens, dit-il en le prenant par la main pour l'entraîner dans une ruelle.
Louis se campa fermement pour l'obliger à s'arrêter.
-Qu'est-ce que tu peux bien avoir à me montrer dans une allée obscure?
Harry se rapprocha de lui et prit son visage entre ses mains, caressant ses joues de ses pouces.
-Tu ne me fais plus confiance, Lou ?
Louis s'abandonna à l'intensité de ses prunelles émeraude dont la chaleur le faisait fondre.
-Bien sûr que si, murmura-t-il.
Ses lèvres pleines s'épanouirent sur un sourire.
-Alors ferme les yeux.
Il fut sur le point de surenchérir mais quelque chose dans le regard d'Harry l'incita à fermer les yeux.
Il le récompensa d'un léger baiser sur chacune de ses paupières et l'entraîna un peu plus loin dans la venelle, puis s'immobilisa. Louis perçut le bruit d'une clef tournant dans une serrure, suivi d'un grincement de porte. Une fois de plus, il l'entraîna à sa suite. Louis mourait d'envie de rouvrir les yeux mais résista pour ne pas gâcher la surprise qu'il voulait lui faire. Il attendit en mordillant sa lèvre inférieure, l'entendit refermer la porte, puis aller et venir dans la pièce, lui enjoignant de garder les yeux clos.
-Je commence à me demander si c'est une bonne idée, marmonna-t-il soudain.
-Pourquoi donc? questionna Louis.
-Parce que je ne sais pas ce que tu vas en penser. J'ai peur que cela ne te plaise pas.
-Tu n'as plus confiance en moi, Harry ? le taquina-t-il en penchant la tête sur le côté.
***
La pièce était plongée dans l'obscurité et seule une lampe placée au-dessus d'un chevalet de peindre diffusait de la lumière. Sur un panneau de liège en appui contre le chevalet était punaisé un dessin au fusain. Un dessin représentant Louis... à moitié nu.
Tu ne me fais plus confiance ?
Lui faisait-il confiance ? Le dessin qu'il avait fait de Louis était très intime. Il avait tenté de reproduire le regard que Louis posait sur lui quand ils faisaient l'amour, et estimait être parvenu à un résultait satisfaisant. Mais il craignait que Louis le prenne mal -à juste titre- la liberté qu'il avait prise vis-à-vis de lui. Même s'il n'y aurait jamais qu'eux pour contempler cette esquisse.
Il aurait aimé se conforter dans l'idée qu'il ne savait pas ce qui lui avait pris de faire un tel dessin. Il se serait pourtant menti à lui-même. Quelque chose en Louis -quelque chose qu'Harry éprouvait à ses côtés- avait réveillé sa créativité, endormie depuis des années. Au point de lui donner envie d'appeler plusieurs ateliers d'artistes, jusqu'à ce qu'il tombe sur un type qui avait accepté de lui louer son espace de travail et son matériel quelques jours, en échange de billets pour son prochain combat.
Ce nu était le fruit de son regain d'inspiration.
Il s'était dit qu'il ne pouvait le garder pour lui comme un secret honteux et désormais, il n'y avait plus moyen de revenir en arrière. Sans courage, nulle gloire.
Son torse se bomba quand il inspira profondément, puis il expira lentement.
-Tu peux regarder.
Louis ouvrit la bouche et plaqua la main dessus.
-Oh, mon Dieu, murmura-t-il.
Bien qu'il le connût par coeur, Harry étudia son dessin et s'efforça de le voir à travers les yeux de Louis. Les traits au fusain le représentaient assis sur une chaise, à califourchon, le torse nu et ruisselant de sueur, le dos cambré, la tête tournée sur le côté, la chevelure humide et en bataille. La pointe de son pied droit était en équilibre sur le sol. L'autre jambe était repliée sous la chaise. Son bras droit était plaqué sur son ventre nu, sa disparaissant dans l'antre de son jean ouvert tandis que le bras gauche était tendu devant lui, ses doigts crispé sur le dossier de la chaise pour se tenir.
La partie qu'il préférait était son visage.
Les yeux clos, ses cils répandaient sur ses pommettes et ses lèvres fine s'entrouvraient sur un soupir d'extase. Il n'avait pas oublié de placer la petite tache de rousseur au coin de son oeil. Un détail dont la plupart des gens n'auraient même pas remarqué l'absence, mais qui faisait à ses yeux toute la différence entre Louis et n'importe quel autre homme.
Harry fut tiré de sa rêverie quand Louis s'approcha doucement du dessin, comme irrésistiblement attiré. Quand il s'immobilisa pour le contempler, comme s'il était agi d'une oeuvre d'art exposée dans un musée, Harry, les mains dans les poches, posa sur lui un regard semblable.
Louis portait un jean noir avec le pans des chevilles retroussé, un sweat marron clair surplombait d'une veste en jean bleu clair.
-Harry, je...
Il n'acheva pas sa phrase et Harry redouta soudain le pire.
-Qu'est-ce que tu en penses ? C'est bon, tu sais, je suis prêt à entendre la vérité.
Il tourna vers Harry un regard rayonnant d'émotion.
-C'est magnifique. Tu as un talent incroyable, fit-il en reportant son attention sur le dessin. Tu m'as rendu... beau.
Les d'Harry résonnèrent dans le silence de la pièce quand il s'approcha de Louis pour le prendre dans ses bras. Il porta une main à son visage et, de son pouce, caressa sa joue.
-C'est là où tu te trompes, Louis. Il m'a fallu recommencer plusieurs fois pour réussir à capturer ta beauté.
-C'est très gentil, mais je ne pourrai jamais ressembler à cela, Harry, je le sais bien.
Un éclair, accompagné d'un grondement de tonnerre, illumina soudain la pièce, et la pluie se mit à tambouriner contre les carreaux de la fenêtre. Harry eut l'impression que l'orage avait décuplé en même temps que sa frustration.
Il aurait voulu pouvoir étrangler tous ceux qui s'étaient ingéniés à amener Louis à se sous-estimer. Non seulement, il était aussi beau qu'il l'avait représenté mais tout en lui -son sens de l'humour, sa maladresse, sa compassion et son dévouement-, absolument tout ce qui le caractérisait faisait de lui un homme infiniment supérieur à tout ceux qu'il l'avait connus.
Il s'apprêtait à le lui dire, mais il le devança :
-Si j'étais aussi beau, je n'aurais pas eu besoin de faire autant d'efforts pour mener Zayn par le bout du nez, ajouta-t-il.
***
Une folie passagère. Louis ne voyait que cela qui puisse justifier la méchanceté de son propos.
Il s'avait qu'ils en étaient arrivés là parce que'Harry s'était engagé à lui enseigner les lois de la séduction. Mais en réalisant cette merveilleuse oeuvre d'art, il venait de lui offrir une part intime de lui-même, et Louis n'avait rien trouvé de mieux à faire que de lui infliger une vilain gifle en évoquant Zayn.
Il vit la colère envahir le regard d'Harry, et un muscle de sa mâchoire frémis spas-modiquement comme s'il s'efforçait de retenir des paroles qui l'auraient blessé et qu'il méritait d'entendre.
-Excuse-moi, Harry. Je...
Sans attendre la fin de sa phrase, Harry tourna les talons, ouvrit la porte et sortit sous la pluie battante. Louis s'élança à sa poursuite et, quand il atteignit le seuil de l'atelier, l'aperçut qui remontait la ruelle, la chemise à moitié trempée.
-Harry, attends ! Reviens !
Harry s'immobilisa, mais ne se retourna pas. Avec ses poings fermés, ses larges épaules se soulevant au rythme de sa respiration il dégageait une impression de danger qui parut à Louis -Dieu lui vienne en aide !- incroyablement sexy. Un frisson le parcourut et, il eut la chair de poule. Même quand il irradiait de colère, Harry le troublait de façon primale, un phénomène qui l'excitait tout autant qu'il le frustrait.
Quand Harry se retourna et qu'il revint vers lui, le regard flamboyant de fureur, Louis se demanda si il n'aurait pas mieux fait de le laisser partir. Et quand il le plaqua contre le mur, Louis sut qu'il aurait dû renouveler ses excuses, dire quelque chose, n'importe quoi, mais il en fut incapable. Il n'avait encore jamais vu Harry dans un tel état. Il se comportait de façon... bestiale.
-Qu'est-ce que tu lui trouves de si exceptionnel à ce type ? cracha-t-il. Pourquoi t'obsède-t-il à ce point ? J'aimerais vraiment que tu me le dises parce que j'ai cherché à me l'expliquer et que je n'y suis pas arrivé !
Obsédé? Si quelqu'un l'obsédait c'était Harry. Ils avaient conclu un marché, tous les deux. Il était censé lui montrer comment séduire le chirurgien, parce qu'il rêvait de passer sa vie avec lui et de mener une relation de couple basée sur des préoccupations communes et un respect mutuel.
Mais à présent, il ne savait plus très bien ce qu'il voulait. Non, en fait il le savait. Son esprit lui disait que c'était avec Zayn qu'il voulait vivre. Mais son corps -peut-être même son coeur- lui disait qu'Harry était le partenaire idéal.
Il secoua la tête et ses cheveux mouillés se plaquèrent sur son front.
-Je ne sais pas ce que tu veux que je dise.
Alourdie par la pluie, les boucles des cheveux d'Harry retombait sur son front. Sa chemise gris pâle à fines rayures argentées, dont il avait relevé les manches sur ses avant-bras musclés, lui collait à la peau.
Il plaça les mains contre le mur, de part et d'autre de Louis, investissant davantage son espace personnel, et braqua sur lui un regard si intense que Louis fut incapable de détourner les yeux.
-C'est à lui que tu penses quand je suis en toi, Louis ? Tu voudrais que ce soit sa queue plutôt que la mienne ? demanda-t-il d'un ton tranchant.
Louis l'avait blessé. Il avait heurté la partie la plus douce de son être. Celle qui faisait de lui un ami obligeant et un amant prévenant. Celle qui incitait ses mains à le caresser, à chérir les courbes de son corps de telle façon qu'elles les mémorisaient et les reproduisaient sur le papier.
Louis n'avait plus devant lui un boxeur, le combattant farouche qui masquait sa blessure derrière une question brutale et insultante. Mais cette interrogation avait beau franchir les lèvres du sportif, c'était la sensibilité blessée de l'artiste qui l'avait inspirée. Et pour la première fois, Louis comprit la dualité de sa personnalité.
Il chasse de son esprit toute considération de ses propres désir pour se concentrer sur ceux d'Harry et, d'un geste confiant, prit son visage entre ses mains.
-Jamais.
Une lueur de surprise remplaça fugitivement la haine qui habitait son regard, avant de disparaître.
-Dès que tu poses la main sur moi, je ne pense plus qu'à toi, Harry, ajouta-t-il en se hissant sur la pointe des pieds pour planter un baiser sur ses lèvres. Chaque fois.
Le tonnerre gronda au-dessus de leurs têtes et l'éclair qui zébra le ciel souligna l'expression sauvage de ses traits. Louis eut à peine le temps de comprendre ce qui se passait que Harry s'empara de sa bouche, aussi rapide qu'une vipère fondant sur sa proie, et tout aussi mortelle.
Louis poussa un soupir quand il s'ouvrit à Harry et sa langue accueillit avec joie les caresses de la sienne, tandis qu'il plaquait ses mains sur ses fesses pour attirer Louis contre lui. Quand une de ses mains se défit pour se glisser à l'intérieur de son pantalon et venir se poser avec fermeté sur l'entre-jambe, Louis rompit leur baiser, incapable de réprimer le gémissement de surprise de lui échapper.
-J'aime l'effet instantané que je te fais.
Louis laissa échapper un murmure plaintif et ondula des hanches pour l'inciter à faire des mouvements de main. Harry reçut le message mais, contrairement aux attentes de Louis, retira sa main de son caleçon.
-Harry..., geignit-il.
-Ne t'inquiète pas, bébé. Il n'y en a que pour une seconde.
Louis le regarda déboutonner sa braguette et baisser son pantalon pour libérer son sexe en érection. Quand il vit surgir devant lui cette superbe colonne de chair parcourue de veines en relief, glorieusement couronnée par le gland lisse et déjà entièrement décalotté, Louis eut envie de s'agenouiller devant lui pour la prendre en bouche, mais Harry ne lui en laissa pas le temps.
Harry déboutonna rapidement le jean de Louis et le baissa jusqu'à ses genoux avant de le retourner, attrapant ses mains pour les mettre contre le mur, puis il écarta habilement les fesses de Louis et le pénétra de toute sa longueur d'une ferme poussée des reins. Louis appuya son front contre le mur en brique froid et se mordit la lèvre, submergé par un tourbillon d'émotions. Harry se retira et revint aussitôt en lui, établissant d'emblée le rythme furieux qui semblait nécessaire à leur survie.
Une odeur minérale de pierre humide se mêlait au parfum fleuri de ses cheveux mouillés et à 'eau de toilette épicée dont était imprégnée la chemise d'Harry. Les nuages qui s'amoncelaient au-dessus d'eux et le crépitement frénétique de l'averse qui les enveloppait dans une sorte de cocon élémentaire créèrent l'illusion qu'ils étaient seuls au monde.
Harry dévorait sa gorge, son épaule... et le pénétrait le plus profond"ment possible. Louis attrapa sa nuque et y planta ses ongles, il n'aurait jamais pu penser à un autre homme quand il était avec lui. Il était d'ailleurs incapable de penser tout court quand il était dans ses bras.
Indépendamment de l'instant présent, de cet homme qui avait le pouvoir de le consumer, de le combler totalement, plus rien n'avait d'importance.
Les prémices de l'orgasme se manifestèrent soudain en lui, bien trop vite. Il aurait voulu que cela ne prenne jamais fin. Faire durer cet instant éternellement. Il serra les dents et s'efforça de contenir sa jouissace mais le plaisir, irrépressible, trouva le moyen de se frayer un chemin à travers son corps.
-Laisse-toi aller, bébé. Je veux te sentir contacter autour de moi. Jouis pour moi, gronda Harry.
Sans cesser son va-et-vient, il planta ses dents dans le creux de son cou et sa dernière défense l'abandonna subitement. Ensemble, ils atteignirent l'orgasme dans une explosion de sensations. Harry se répandit en lui en grognant comme la bête féroce qu'il était devenu dans cette sombre ruelle.
Louis eut l'impression de voler en éclats et de s'élever un moment au niveau des nuages grondants puis de retomber parmi les gouttes de pluie vers la terre ferme... vers Harry.
Une fois qu'ils eurent repris leur souffle, Harry le retourna face à lui, le maintenant entre ses bras jusqu'à ce qu'il soit certain que ses jambes le soutiennent.
-On ferait mieux de rentrer au sec, non? demanda-t-il en lui prenant le visage entre les mains pour déposer un baiser sur ses lèvres.
-Et le dessin? On ne peut pas le transporter sous cette pluie.
-Je repasserai le chercher un autre jour? Allez viens. Je vais te faire prendre une douche brûlante, et puis au lit !
-Tu n'en as pas eu assez ? questionna Louis en arquant un sourcil taquin.
-Je crois qu'avec toi je n'en aurai jamais assez, Louis. Mais ce n'est pas ce que je voulais dire. Je veux prendre soin de toi et te border dans ton lit douillet pour serrer dans mes bras jusqu'au lever du soleil.
-Oh.
Une réplique sarcastique. Une plaisanterie déplacée. Un commentaire salace. Voilà le genre de répondre que Louis attendait de lui. Nullement des paroles tendre ou des mots doux susceptibles de le faire fondre.
Harry verrouilla la porte de l'atelier, planta un baiser au sommet de sa tête et le serra contre lui pour retourner à la voiture.
Louis se demanda quelle sensation physique on pouvait bien éprouver quand on donnait son coeur à quelqu'un. Parce que ce fut exactement ce qu'il ressentit quand une vive douleur, s'éleva, là, dans sa poitrine.